Le droit des réfugiés: un défi pour l’Asie du Sud-Est

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Le droit des réfugiés: un défi pour l’Asie du Sud-Est

Depuis la nuit des temps et dans le monde entier, les êtres humains fuient leur village, leur région ou leur pays lorsqu’ils se sentent en danger. L’Asie n’est bien sûr pas exempte de cette question. Depuis la seconde Guerre Mondiale, les conflits ne cessent de s’internationaliser. La mondialisation fait de notre planète un village et favorise des migrations de plus en plus transnationales. Beaucoup de pays se sont donc accordés pour déterminer des normes internationales de protection des personnes forcées de fuir leur pays. La Convention de Genève de 1951 était à la base écrite pour protéger les réfugiés européens ayant fui devant le nazisme. Elle définit les critères définissant un réfugié et les protections qui doivent lui être apportées. A l’époque, cette convention n’avait été signée par aucun état asiatique excepté la Turquie. Elle a maintenant été ratifiée par presque tous les états du monde (145 sur 192 pays reconnus dans le monde par l’ONU en 2012). Beaucoup d’états ont néanmoins émis des réserves sur certains articles de la convention.

L’Asie du Sud-Est est la grande absente de cette liste. Sur les 11 états de la zone, seuls 3 ont ratifié la Convention de Genève. Cela ne signifie pas qu’ils « accueillent » plus ou moins de réfugiés que les huit autres, mais que la notion même de « réfugié » n’existe pas dans leur législation et que ces derniers ne bénéficient d’aucune protection.

La convention de Genève de 1951 en Asie du Sud Est
La convention de Genève de 1951 en Asie du Sud Est

 

Qui sont les réfugiés d’Asie du Sud-Est ?

L’actualité nous pousse souvent à faire un parallèle entre « réfugiés » et « conflit armé », mais la notion est bien plus large. Elle désigne les personnes contraintes de vivre dans un pays autre que le leur car elles sont persécutées ou craignent de l’être en raison de ce qu’elles sont, croient ou défendent. Tous les déplacés ne sont pas des réfugiés. Beaucoup ne franchissent pas de frontière nationale mais sont forcés au déplacement, pour fuir une catastrophe naturelle, une vendetta ou un conflit avec les autorités locales. Ces déplacés internes (ou IDP) représentaient en 2011 plus de 4 millions de personnes en Asie du Sud-Est.

Mais beaucoup de personnes sont forcées de quitter leur pays pour se réfugier dans d’autres états asiatiques.

On notera par exemple les Nord-Coréens ayant décidé de (et réussi à) sortir des griffes de l’état le plus totalitaire au monde. Beaucoup voudraient rejoindre la Corée du Sud, mais étant donnée les difficultés pour franchir la zone démilitarisée entre les deux Corées, la plupart d’entre eux fuient par la Chine (seul allié de la Corée du Nord) et sont voués à des années d’errance dans différents pays d’Asie.

Un autre groupe très enclin à fuir est celui des rohingyas. Cette ethnie musulmane du Myanmar n’est officiellement plus birmane depuis 1982. An San Suu Kyi elle même, pourtant présentée comme réconciliatrice des différentes ethnies du pays ne reconnaît pas leur appartenance à la communauté nationale. Devenus apatrides et victimes d’une répression violente, ils fuient régulièrement par la terre ou par bateau ce pays dans lequel ils n’ont plus le droit de vivre, avec l’espoir pour beaucoup de rejoindre l’Indonésie, le plus grand pays musulman au monde.

Les opposants politiques sont également nombreux à fuir les pays asiatiques, des thaïlandais accusés de crime de lèse-majesté aux blogueurs ou journalistes chinois opposés au parti communiste. La Chine est d’ailleurs aussi créatrice de nombreux réfugiés pour motifs religieux. Pékin n’accepte pas les mouvements religieux échappant au contrôle du Parti Communiste. Il ne veut entendre parler ni du pape, ni du Dalaï Lama et traque les croyants se réclamant d’autorités religieuses extérieures à la Chine.

On parle beaucoup de l’exil des bouddhistes tibétains, mais ils ne sont pas les seuls. La communauté musulmane Ouïgour a elle aussi un chef spirituel en exil, Rebiya Kadeer, un ancien du Parti Communiste expulsé vers les Etats-Unis. Quant aux chrétiens, les autorités chinoises tentent de limiter leur expansion. Régulièrement, des croix sont détruites par les autorités et des célébrations sont interdites.

 

Les réfugiés d’Asie du Sud-Est manquent de protection

La conséquence de cette non-reconnaissance du statut de réfugié n’est pas statistique (elle n’empêche pas les réfugiés de traverser les frontières) mais juridique. Les réfugiés dans les pays qui ne leur reconnaissent pas de statut sont exposés à deux principaux risques : celui d’être persécutés par les autorités de leur pays même en dehors de son territoire, et celui d’être victimes de trafiquants d’êtres humains.

Si de nombreuses femmes réfugiées sont contraintes à la prostitution, les hommes sont souvent réduits à l’esclavage dans les secteurs de la pêche ou de l’agriculture. Des réfugiés nord-coréens ont par exemple été repérés travaillant de manière forcée au Myanmar dans des champs de pavot destinés à la production d’héroïne. En Thaïlande, la réduction en esclavage de nombreux rohingyas sur des bateaux de pêche et la découverte de charniers dans le sud du pays créent régulièrement la polémique.

A Bangkok, ce sont les kidnappings organisés par les autorités de Pékin qui inquiètent les dissidents chinois. Selon le Bangkok Post, ils se seraient multipliés ces derniers temps et créeraient un climat de méfiance dans la diaspora chinoise. Le problème de la non-reconnaissance du statut de réfugié est que ces personnes se retrouvent en situation illégale. Ils sont en séjour irrégulier et ne sont pas autorisés à travailler. Difficile dans ces conditions de porter plainte dans son pays de refuge contre des employeurs ou passeurs esclavagistes. Il est délicat également de demander protection à la police ou de lui signaler une disparition inquiétante.

 

L’asile met sous tension les relations internationales

Mais pourquoi refuser de nommer et reconnaître les réfugiés ? Certainement par abus de nationalisme, mais pas uniquement.

Reconnaitre ou non un réfugié, c’est avant tout poser un acte diplomatique. L’an dernier, la déportation vers la Chine par la Thaïlande de réfugiés Ouïgours turcophones à qui Ankara aurait offert sa protection avait mis le feu aux poudres en Turquie, où l’ambassade de Thaïlande avait été attaquée par des manifestants.

Reconnaître le statut de réfugié à quelqu’un, c’est avant tout reconnaître la non-volonté ou l’incapacité d’un pays à protéger ses propres citoyens, mais c’est aussi reconnaître des différences de valeur entre états. En protégeant Edward Snowden par exemple, l’Équateur s’oppose à la position américaine sur la situation du lanceur d’alerte. Reconnaître le statut de réfugié à un opposant chinois et lui offrir une protection, ce serait avant tout s’opposer à Pékin en désapprouvant sa politique répressive. Et personne en Asie ne veut se mettre la Chine à dos…

Doit-on voir cet immobilisme comme un respect des souverainetés nationale ou une lâcheté diplomatique ? Tout est question de point de vue. Quoi qu’il en soit, la question de l’asile, des réfugiés et de l’apatridie devra être une question centrale pour l’ASEAN dans l’hypothétique construction d’une zone de libre circulation. Mais comme l’Union Européenne nous l’a prouvé, le sujet est extrêmement sensible et divise, car il questionne en profondeur sur la perte de souveraineté dans une union d’états.

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