La bière, enjeu de souveraineté en Asie

Article : La bière, enjeu de souveraineté en Asie
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5 septembre 2016

La bière, enjeu de souveraineté en Asie

Ce qui frappe et exaspère souvent les amateurs de bière en voyageant en Asie, c’est le manque de choix. En fait, chaque pays semble avoir sa propre mousse, qu’il brasse avec fierté, comme un message nationaliste adressé à tous les piliers de comptoir de son peuple. Le Myanmar a la Myanmar Beer, le Laos a la Beer Lao, Le Cambodge a l’Angkor Beer dont la devise un tantinet nationaliste est « mon pays, ma bière », Singapour a la Tiger, Taiwan a la Taiwan Beer, la Thaïlande a la Chang, la Singha et la Leo et la Chine a la Snow et bien sûr la Tsing Tao brassée dans la ville éponyme.

 

La bière ne traverse pas les frontières

En réalité, ces bières traversent très peu les frontières des pays dans lesquels elles sont produites. Je m’en suis d’ailleurs très vite rendu compte lorsque, vivant en Thaïlande à cinq minutes de la frontière birmane et du siège de la Myanmar Beer (situé dans la ville frontière de Tachileik), je devais changer de pays pour déguster cette dernière.

Quant aux bières venues d’autres continents, elles sont souvent difficiles à trouver en dehors des quartiers d’expatriés ou de tourisme. Les asiatiques ont donc tendance à se contenter machinalement de la bière (parfois unique) produite en bas de chez eux.

 

Des bières pas si locales

Malgré tout, les asiatiques sont de grands amateurs de bière. Ils constituent le premier marché au monde pour les brasseurs. Le continent consommerait à lui seul 33,6% de la bière produite dans le monde. Pourtant, historiquement, l’Asie n’est pas un pays producteur de bière. La Tsing Tao par exemple a été lancée par des brasseurs allemands en 1903 alors que la ville était une colonie germanique. La bière Chang, certainement la plus populaire de Thaïlande, était à la base une déclinaison de la bière danoise Carlsberg qui fut reprise par une entreprise thaïlandaise. La brasserie cambodgienne de l’Angkor Beer a quant à elle été mise en place dans les années 60 par des entrepreneurs français.

 

Le protectionnisme profite surtout aux grands groupes

Bref, la bière asiatique a un arrière goût de colonisation et d’interventionnisme occidental. Mais alors pourquoi les asiatiques sont-ils tant attachés aux bières produites dans leur pays, parfois par leur gouvernement ? Certainement parce qu’elles coûtent moins cher. Les pays asiatiques sont les champions du protectionnisme toutes catégories confondues, et les hectolitres de bières que s’enfilent leurs populations dans les karaokés ne passent pas au travers. Les taxes sur l’importation et les conditions strictes pour obtenir un droit de distribution freinent les importations de bières étrangères et les limitent à des grands groupes ayant une capacité d’investissement et un service juridique importants.

 

Produire de la bière étrangère sur place

Mais la résistance s’organise. Par le biais de « joint ventures », certaines brasseries tentent d’entrer dans le capital de sociétés étrangères pour obtenir de nouveaux marchés. C’est le cas par exemple du japonais Asahi, du thaïlandais ThaiBev et du néerlandais Heineken, qui sont récemment entrés dans le capital de la Sabeco, le plus gros brasseur vietnamien.

L’irlandais Guiness a quant à lui contourné le problème des droits de douane (et de transport) en implantant des brasseries directement en Malaisie et en Indonésie.

 

Ou importer de la bière locale de l’étranger

Mais c’est certainement de l’intérieur que va naître la diversité des bières d’Asie, par l’émergence de nombreuses micro-brasseries répondant à une demande de variété de plus en plus grande. En Thaïlande par exemple, où le monopole de ThaiBev est ardemment protégé, certains micro-brasseurs se sont organisés pour contourner la loi, limitant fortement la production de bières en Thaïlande autres que celles du puissant groupe (la bière est avant tout une question de gros sous). Leur idée : produire une bière thaïlandaise à l’étranger, puis l’exporter en Thaïlande. Ainsi, les deux bières thaïlandaises Chalawan Pale Ale (de Phuket) et la Chiang Mai Beer, autrefois vendues sous le manteau, sont désormais disponibles légalement, en provenance d’Australie et du Laos où elles sont désormais mises en bouteille. Le seul inconvénient : il faut désormais payer des taxes sur l’importation de ces bières locales !

 

En fait, vous l’aurez compris, si on pousse les asiatiques à ne boire que la bière principale de leur pays, c’est plus pour des raisons économiques que patriotiques.

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