Paris – Mae Sai

Article : Paris – Mae Sai
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Paris – Mae Sai

(Article écrit en mars 2014)

Après avoir gonflé vos proches durant un mois avec votre départ « Eh tu te rends compte dans un mois je serai en Thaïlande », « Eh tu te rends compte dans trois semaines je mangerai thaï… oui je sais on a mangé thaï hier mais tu comprends rien », et inondé la page d’accueil facebook de vos collègues de CM1 avec des statuts philosophiques tels que « dernier week-end en France », « dernière semaine en Belgique », « dernier spaghetti », « dernier rouleau de papier toilettes », bref, après avoir saoulé tout le monde en voulant faire croire que votre vie s’arrêterait ce jeudi de mars, eh bien vous y voilà. Et ce qu’on peut dire, c’est que vous vous êtes préparé.

Et un élément important pour préparer une expatriation, c’est l’apprentissage de la langue.

Après avoir douté de l’utilité immédiate du vocabulaire de la première leçon :

« Tapu » (un clou), « Reu » (roter), vous trouverez vite des leçons bien utiles à vos débuts. Celle sur la nourriture, par exemple, vous évitera de vous alimenter exclusivement de l’unique plat dont vous savez prononcer le nom, le Phad Thai.

La leçon sur les transports vous séduira par son esprit anticipateur.

Et prêt, vous l’êtes lorsque vous arrivez à l’aéroport Charles De Gaule et que vous déclamez avec votre plus bel accent « Phom Tonhgkan Thinang Rim Thangdeun », littéralement « Je voudrais une place à coté du couloir », que l’on peut traduire par « j’ai une vessie dysfonctionnelle et vu le prix du billet je compte bien profiter des boissons gratuites durant chacune des onze heures qui nous séparent de Shanghaï, pendant que mon voisin de gauche bavera sur mon épaule son plateau repas à moitié décongelé en roupillant à grand bruit devant le dernier Disney ». Votre requête restera ballante, le personnel d’Air France n’ayant pas la prévenance de parler le siamois.

Et pourquoi Shanghai me direz-vous ? Pour faire des économies ? Non, plutôt pour rendre visite à vos amis expatriés. C’est à dire qu’à force de rêvasser sur Google Map, l’Asie vous semble si petite qu’un détour de 2500 kilomètres vous paraît tout à coup anodin, alors même que vous aviez perdu de vue tous vos proches ayant migré à plus de 100 km de votre domicile. Le voyage donne des ailes.

Mais vous ne vous arrêtez pas à cet échec. Vous répétez sans cesses ces incantations en vous imaginant en situation, tel un chirurgien visualisant à l’avance une opération, ou un acteur préparant une pièce. « Phom Ha Krapaw Deun Thang Mai Tcheu » veut par exemple dire « Je ne retrouve pas mes bagages ». Et vous espérez bien les perdre vos bagages, telle serait votre fierté de pouvoir réciter votre leçon.

Mais non, au lieu de ça, vous perdrez votre appareil photo et votre carte bancaire, deux problématiques qui devaient sûrement se trouver dans les leçons du niveau 2.

Le voyage continue. Deux avions, trois nuits blanches, deux auberges, un hôtel avec piscine, 23 appels à votre banque et trois bus dont un sans porte plus tard, vous voilà arrivé à Mae Sai, ville la plus au Nord de la Thaïlande, sorte de cul de sac à huit voies donnant sur la Birmanie.

Loin des quartiers d’expats, des restaurants touristiques et des food centers des grandes villes, sous votre fenêtre, vous entendez un cochon se faire égorger. Peut-être sera-t-il mélangé à du riz ce soir pour votre premier repas avec vos nouveaux collègues.

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